L’intérêt des toitures végétalisées stockantes en eau pendant l’été
Les étés deviennent de plus en plus extrêmes, alternant fortes pluies orageuses et périodes de sécheresse prolongées sous l’effet du changement climatique. Face à ces défis, une innovation dans le monde des toitures vertes gagne du terrain : les toitures végétalisées stockantes en eau, aussi appelées toitures à rétention d’eau ou toitures « bleues ». Ces systèmes combinent la végétation avec une capacité accrue à retenir l’eau de pluie. L’objectif : conserver l’eau le plus longtemps possible sur le toit pour la restituer graduellement. Dans cet article, nous allons expliquer le rôle crucial de ces toitures stockantes en été, tant pour la gestion des eaux pluviales que pour la lutte contre les îlots de chaleur, et comment elles contribuent à un microclimat urbain plus supportable en période caniculaire.
Rétention des pluies : le toit comme réservoir tampon
Une toiture végétalisée classique agit déjà comme une éponge naturelle. Elle absorbe une partie des précipitations dans son substrat et via les plantes, puis relâche cette eau lentement par évaporation ou drainage. On estime qu’en Belgique ou dans les régions voisines, une toiture verte peut ainsi retenir en moyenne 50 à 70 % des pluies annuelles qui la touchent . Cela signifie que plus de la moitié de l’eau de pluie ne part pas directement dans les gouttières, mais est captée par le toit. Ce rôle de rétention d’eau soulage considérablement les réseaux d’égouts en cas d’averses : le ruissellement est étalé dans le temps, ce qui réduit les risques d’inondation ou de débordement d’égouts lors des orages violents.
Les toitures stockantes en eau vont plus loin en optimisant cette capacité de rétention. Concrètement, il s’agit de toits conçus avec des dispositifs spéciaux pour stocker une certaine quantité d’eau dans les couches inférieures du toit (ex. plaques de rétention, barrages limitant l’évacuation, substrat très épais, etc.). L’eau retenue peut être stockée pendant plusieurs jours avant de s’évacuer. Ainsi, lors d’une énorme averse, le toit retient un maximum d’eau sur place, jouant pleinement son rôle de tampon. Puis, dans les heures et jours qui suivent, l’eau accumulée s’évacue petit à petit soit par évaporation dans l’air, soit par un écoulement gradué vers les évacuations. Ce lissage est extrêmement bénéfique : il allège la pression sur les égouts et limite fortement les volumes d’eau instantanés à gérer en bas. Les villes encouragent de plus en plus ce type de toiture, surtout dans les zones urbaines denses où le sol imperméable ne peut absorber la pluie (à Bruxelles par exemple, la réglementation promeut la gestion des eaux à la source).
En été, ces toitures stockantes présentent un autre avantage : elles font office de réservoir d’eau en cas de sécheresse . Imaginons un été sec où il ne pleut pas pendant plusieurs semaines : grâce à la forte averse précédente retenue sur le toit, la couche de rétention a stocké de l’eau que les plantes peuvent continuer d’utiliser. Plutôt que de voir la toiture s’assécher en quelques jours, l’humidité stockée permet de soutenir la végétation plus longtemps sans arrosage externe. En quelque sorte, la toiture a fait ses provisions d’eau pendant la pluie, pour les utiliser quand il fait sec – tel un chameau stockant sa réserve. Cela améliore la survie des plantes pendant les canicules et réduit les besoins d’irrigation artificielle. C’est un atout précieux en été, où l’eau devient une ressource rare.
Enfin, la qualité de l’eau retenue peut être mise à profit. Certaines toitures à eau intègrent des systèmes de récupération pour réutiliser l’eau stockée (après filtration) à des fins non potables : arroser des jardins, alimenter les chasses d’eau, etc. . On maximise ainsi l’usage d’une eau de pluie gratuite au lieu de la rejeter immédiatement. En résumé, la toiture stockante transforme le toit en citerne invisible et en zone d’infiltration locale, participant activement à une gestion durable de l’eau en milieu urbain.
Un microclimat urbain plus frais grâce à l’évaporation
Retenir l’eau sur le toit ne sert pas qu’à éviter les inondations : c’est aussi la clé pour rafraîchir l’atmosphère en été. En effet, pour que la végétation d’un toit puisse jouer pleinement son rôle de climatiseur naturel, elle a besoin d’eau à évaporer. Or, en été, un toit végétal traditionnel peut vite s’assécher en l’absence de pluie, surtout lors de fortes vagues de chaleur. Si le substrat sèche complètement, les plantes se mettent en dormance (jaunissent) et réduisent fortement leur évapotranspiration – donc le pouvoir rafraîchissant du toit chute. C’est là que la toiture stockante prend tout son sens : en maintenant une réserve d’eau accessible aux racines pendant les périodes chaudes, elle permet aux plantes de continuer à transpirer et à refroidir l’air ambiant.
Le phénomène d’évapotranspiration consomme énormément d’énergie thermique (on l’a vu, 680 kWh par m³ d’eau évaporée) . Ainsi, plus longtemps le toit peut évaporer de l’eau, plus il va absorber de chaleur. En pleine canicule, une toiture bleue (à rétention) bien végétalisée agit comme un climatiseur urbain : l’eau accumulée durant la dernière pluie s’évapore progressivement, refroidissant le toit et l’air qui le surplombe. Des mesures ont montré que l’air au-dessus d’un toit végétal humide peut être de 3 à 5 °C plus frais que l’air au-dessus d’un toit sec ou d’un toit minéral classique. Cela signifie que les habitants du bâtiment, mais aussi les passants ou voisins proches, bénéficient d’un environnement plus tempéré.
À l’échelle de la ville, si de nombreuses toitures retiennent de l’eau et évaporent en été, l’impact se cumule pour atténuer l’îlot de chaleur urbain. Certes, quantifier exactement l’effet n’est pas simple (les études de modélisation sont complexes ). Néanmoins, on sait qu’une ville avec davantage de surfaces végétalisées humides peut voir sa température baisser de quelques degrés. L’étude mentionnée plus haut à Toronto estime qu’avec seulement 6 % de toits végétaux, on gagnerait 1 à 2 °C de moins en centre-ville . Imaginons avec 50 % de toits verts humides ! L’impact pourrait être bien supérieur, en particulier durant les nuits de canicule où actuellement les toits restituent la chaleur accumulée le jour. Avec des toits végétalisés arrosés naturellement, la ville se rafraîchit plus vite dès le coucher du soleil, améliorant le confort nocturne des habitants et réduisant les risques sanitaires liés aux nuits trop chaudes.
Un autre bénéfice est l’humidité de l’air. En été, l’air urbain est souvent très sec lors des fortes chaleurs. L’évaporation depuis les toits bleus ajoute de l’humidité locale, ce qui, paradoxalement, rend l’air plus supportable pour nous (dans certaines limites, bien sûr). Un air un peu plus humide et frais est moins irritant pour les voies respiratoires et donne une sensation de fraîcheur plus élevée que de l’air chaud et sec. Les personnes vulnérables (personnes âgées, enfants) souffrent moins du stress thermique dans ces conditions. Ainsi, les toitures stockantes contribuent à créer un microclimat urbain plus doux et plus sain pendant l’été.
Des toitures bleues pour s’adapter au climat futur
L’intérêt de ces toitures végétales à eau devient encore plus évident face aux évolutions climatiques en cours. On prévoit davantage d’épisodes de précipitations intenses, suivis de sécheresses marquées. Les villes comme Bruxelles, Liège ou Anvers devront gérer des ruissellements soudains tout en préservant l’eau pour les moments de pénurie. Les toitures bleues sont une réponse innovante à ces deux problèmes. En stockant l’eau “quand il y en a trop” pour l’utiliser “quand il n’y en a pas assez”, elles introduisent de la souplesse dans le cycle urbain de l’eau. C’est une forme de bon sens écologique inspiré du fonctionnement naturel des sols (qui absorbent l’eau puis la restituent aux plantes).
Techniquement, réussir une toiture à rétention demande de penser en amont au système. Il faut souvent une structure de toit conçue pour supporter le poids de l’eau stockée (l’eau pèse lourd, 1 tonne par m³). Il faut également prévoir une toiture très plate ou avec une légère réhausse des rebords pour retenir l’eau . Cela bouscule un peu les habitudes des couvreurs et architectes, habitués à toujours évacuer l’eau le plus vite possible. Mais de plus en plus de projets intègrent ces toits réservoirs dès la conception. En Belgique, des entreprises spécialisées comme Greendays développent activement ce concept.
En été, avoir planifié un toit capable de garder l’eau se révèle payant : pendant qu’autour tout grille, votre toiture, elle, reste verte et fraîche. Cela prolonge la floraison des plantes du toit, donc la nourriture pour les insectes (un plus pour la biodiversité en ville). Cela protège aussi la végétation du stress hydrique : les plantes d’un toit bleu souffrent moins et garderont un meilleur couvert végétal tout l’été, là où une toiture extensive classique peut se dégarnir temporairement sous l’effet de la sécheresse. On obtient au final une toiture plus performante dans son rôle climatique, plus résiliente face aux extrêmes météo.
Conclusion
Les toitures végétalisées stockantes en eau représentent une évolution ingénieuse pour rendre nos villes plus résilientes et agréables en été. En jouant le rôle de réserve d’eau sur les toits, elles apportent une double réponse aux défis climatiques :
(1) Elles gèrent l’eau de pluie à la source, réduisant les risques d’inondation et valorisant l’eau précieuse plutôt que de la gaspiller.
(2) Elles renforcent le pouvoir de rafraîchissement des toits verts, créant des bulles de fraîcheur et d’humidité bienvenues pendant les canicules.
Grâce à ces toitures à rétention, on peut espérer des villes plus fraîches, moins sujettes aux inondations, et des habitants mieux protégés des excès du climat. Bien sûr, leur mise en place doit être pensée dès la conception du bâtiment ou lors d’une rénovation (structure, étanchéité, etc.), mais les bénéfices en valent la peine. À l’avenir, multiplier les toitures bleues et vertes pourrait faire une différence notable sur le climat urbain estival, en complément d’autres solutions (végétalisation au sol, désimperméabilisation, etc.).
En Belgique, Greendays et d’autres acteurs de l’éco-construction encouragent déjà cette approche pour des bâtiments durables. Installer une toiture végétale stockante en eau, c’est faire un geste à la fois pour son bâtiment (qui gagne un système de climatisation naturel et une protection) et pour sa ville (qui devient plus soutenable face aux pluies torrentielles et aux canicules). Transformons nos toits en alliés contre la chaleur et la sécheresse : l’eau de pluie n’attend que nous pour être utilisée intelligemment, même en été, là-haut sur nos toits.